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Dans la bibliothèque de…Steeve

Au cours de l’été, dans la douce torpeur qu’impose un soleil trop affectueux, je vais vous proposer une série d’entretien avec des bibliophiles de l’occulte, dans leur grande diversité. Collectionner des grimoires de sorcellerie, de démonologie, d’alchimie ce n’est pas tout à fait comme collectionner des éditions Nrf numérotées. Le champ des fantasmes est grand, l’imaginaire tourne à plein régime. Je vous propose de lever un peu le voile de mystère qui entourent ces bibliothèques et ceux qui les composent.

Je remercie Steeve qui a eu l’amitié d’ouvrir cette série d’entretien. Le blog dans sa forme actuelle est peu performant pour la gestion des commentaires, alors je vous propose plutôt de nous retrouver sur  la page facebook de la librairie pour en discuter.

Steeve, depuis quand vous intéressez vous aux livres anciens et occultes ?

Tout d’abord merci de me faire participer à ton blog et félicitations pour Les Portes Sombres toujours riche en trouvailles !

Depuis jeune, peut-être un peu trop jeune. De façon pathologique presque depuis mes 12 ans j’ai commencé à collectionner des ouvrages ayant rapport aux sciences hermétiques, avec mes moyens de jeune collégien j’ai commencé à feuilleter les ouvrages des bibliothèques municipales, faisant des photocopies de façon frénétique des ouvrages que j’affectionnais particulièrement. Mes achats se limitaient à cette époque aux ouvrages d’occasion et à un périple annuel dans une librairie ésotérique de Salon de Provence, où durant l’été je faisais quelques achats, j’y ai fait l’acquisition de mon premier Eliphas Lévi : Dogme et Rituel de Haute Magie. J’ai dû lire 5 fois la préface tentant à chaque lecture de comprendre un peu plus cet ouvrage magistral. Avec difficulté je dois le dire !

J’ai depuis continué à acquérir des ouvrages en nombre, construisant une bibliothèque un peu fourre-tout où les aventures mystérieuses côtoyaient des Eliphas Lévi, Papus & consorts.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu de votre bibliothèque ?

Heureusement si je peux dire, aujourd’hui en dépit du nombre, je me concentre sur la qualité. Un homme très sage m’a dit un jour, tu dois te concentrer sur tes achats, quitte à n’acquérir qu’un ouvrage par an, qu’il soit un joyau pour tes rayonnages. J’ai bien sûr fait l’erreur de tout jeune bibliophile, d’acheter des ouvrages dépareillés espérant un jour reconstituer l’ensemble, des livres aux reliures ayant subies les affres des années, voir des siècles ! Bien souvent irrécupérables même si peu courants. J’ai aussi fait l’erreur de revendre des ouvrages qui aujourd’hui me laissent un petit goût de regret mais on ne peut pas tout garder, d’un point de vue physique, les livres prennent une place considérable … et niveau budget… c’est du même niveau !

Je me concentre désormais sur des pièces qui me sont plus personnelles. Les quelques rayonnages qui me sont personnels dans ma collection étalonnent des ouvrages de toutes périodes, jusqu’au 20 ème. Mais ces ouvrages ont tous une histoire, une particularité, une note, un ex libris, un Fulcanelli truffé d’une lettre de cette écriture si poétique à la graphique toute particulière de Canseliet, un autre ouvrage très récent, des plus courant sur Maître Philippe qui à réception recelait un portrait en pied original de Nizier Anthelme. Et puis il y a les moins courant, les difficilement trouvable, qui ne reviennent sur le marché du livre que tous les dix ou vingt ans lorsqu’on a la chance de les voir passer.

Des ouvrages de Maçonnerie « classiques », arborant en première page une tout autre graphie, tout aussi particulière celle d’un grand mage du XIX° siècle.

Je crois qu’un personnage, lui aussi grand collectionneur de l’occulte, attire particulièrement votre attention ?

En effet, là aussi c’est une monomanie, depuis plus de dix ans je travaille sur le personnage, collectionne les lettres, documents manuscrits correspondances.

J’ai commencé à travailler sur le personnage dans le cadre d’un cursus à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes travaillant sur un diplôme portant sur Stanislas de Guaita. Repoussant toujours la rédaction de mon mémoire, trouvant de nouvelles informations inédites, de nouveaux documents, et ayant aussi une vie à côté plutôt chargée, je dois bien me trouver des excuses ! Je n’ai toujours pas fini la rédaction de ce mémoire, mais le matériel est là, la passion toujours vive et le personnage bien connu des bibliophiles, connu également de certains milieux occultistes et initiatiques mérite toute cette attention ! Et bien plus !

C’est une somme, à ma connaissance inégalée de documents, que j’ai la chance d’avoir compilé. Et bien sûr pour revenir au côté bibliophile, des ouvrages sur lesquels il a travaillé, provenant de son incroyable bibliothèque. Il apparaît que Stanislas de Guaita avait, parmi le nombre difficilement imaginable d’ouvrages sur l’occulte et les sciences hermétiques, des ouvrages incomplets. Incomplets de plusieurs pages, j’ai rencontré plusieurs ouvrages de ce type. Le premier qu’il m’a été donné de voir fût «Les Merveilles du ciel et de l’enfer» de Swedenborg. Les ouvrages ont souffert, le brochage d’époque est faible, les tâches et rousseurs sont nombreuses, mais pourtant des notes inédites ornent les marges, les deux volumes sont ornés d’ex libris manuscrits et de tampons du Collectionneur de l’occulte, un témoignage unique. Des pages sont manquantes, pourtant Stanislas de Guaita, a recopié soigneusement, ligne par ligne, sur un exemplaire complet, les passages manquants, il est difficile de savoir combien d’heures de travail de scribe a pu prendre, mais c’est un vibrant témoignage et une preuve de son amour pour les livres. Cet ouvrage a rejoint depuis un autre collectionneur amoureux de Guaita.

Je crois d’ailleurs savoir qu’un événement autour de Guaïta est en préparation ?

Ahaha ! Oui en effet, rien encore n’a été annoncé, rien d’officiel pour le moins, mais pour les lecteurs du Blog et en exclusivité il va y avoir à la rentrée un grand colloque portant sur Stanislas de Guaita, abordant l’occulte, la bibliophilie, les amis de Guaita, l’Ordre Kabbalistique de la Rose Croix etc. le tout avec des spécialistes et des passionnés qui livreront des trésors d’inédits sur l’homme et les cénacles d’occultistes de la belle époque !  Le colloque se déroulera sur Paris le 14 Octobre 2017. Je communiquerai les détails très prochainement car les places seront limitées ! [ndlr: Merci pour le scoop !]

Est-ce que votre passion pour l’occulte déborde le domaine des livres ? (objets, voyages, films…?)

Passion pour l’occulte, mais aussi pour les bizarreries de tous genres, j’ai construit un certain nombre de mes voyages sur ce thème, je recommande d’ailleurs ici si cela m’est permis, le site internet http://www.atlasobscura.com/ qui compile et recense un nombre incroyable de lieux, étonnants, étranges et qui guidera bon nombre d’entre nous sur des chemins pas toujours évidents !

Quelques objets insolites pour combler le maigre espace restant sur les étagères des bibliothèques des bronzes provenant de divers voyages, ce buste de Louis Claude de Saint Martin que j’ai fait faire par un artisan de mes amis en nombre limité que certains lecteurs du blog doivent avoir également. Des Ex Libris encadrés, quelques petits diables à la fleur de l’âge, une partition de musique dont les paroles sont signées, tu ne le devineras jamais, Stanislas de Guaita etc. Juste de quoi déconcentrer les curieux afin qu’ils n’ouvrent pas les livres que je garde jalousement, ou presque !

Nos domaines de collection alimentent souvent les fantasmes, quelle est la réaction des gens à qui vous présentez votre bibliothèque ou votre passion ? Des anecdotes ?

Lors de soirées par exemple, je ne précise le domaine de mes collections, je me contente de dire que je suis dans le livre ancien. On détecte vite s’il est possible d’entrer dans les détails de façon « sérieuse » ou si à l’énoncé des mots occulte, alchimie, Franc Maçonnerie ou sorcellerie, on va nous resservir le « oh mon Dieu c’est passionnant, tata Suzanne tirait les cartes ». J’ai eu trop de discussions ennuyeuses de la sorte pour ne pas m’en tenir désormais éloigné, et on sait rapidement, parfois même sans parler si l’on peut aller plus loin ou si il est préférable de s’arrêter rapidement et se limiter à la collection de livres.

 Deux petites histoires rapidement, la première d’une bêtise noire qui date de mes plus jeunes années, qui m’attriste encore, un ami passe avec une connaissance à lui à mon domicile. Entre 2 bibliothèques j’ai une tenture de Ganesh que j’ai ramené d’un de mes voyages en Inde, la tenture reprend l’iconographie classique, l’éléphant, la souris, le petit carnet, la swastika … Une fois parti, la connaissance s’outre violemment auprès de  mon ami, lui clamant de ne plus jamais l’emmener de la sorte chez quelqu’un affichant des croix gammées dans son bureau … Suite à cet épisode, j’ai installé des rideaux qui lors de visite impromptue se refermaient sur les volumes aux noms évocateurs à faire frissonner grand mère.

Je choisi désormais mes visiteurs plus soigneusement.

La seconde petite anecdote porte sur un livre en particulier. Un collectionneur, qui a travaillé de nombreuses années à la Table d’émeraude à Paris, parcours les volumes de ma bibliothèque, je lui tends un volume recelant une petite curiosité, un Fulcanelli provenant de la bibliothèque de Maurice Garçon portant son ex libris. Et à mon grand étonnement mon ami s’esclaffe et m’annonce : « Mais c’est mon ouvrage ! ». En effet il possédait cet exemplaire il y a des années, et s’en était séparé, l’ouvrage a connu depuis plusieurs rayonnages et à finit chez moi, dans les mains de son ancien propriétaire. C’est aussi ça je crois le côté douloureux de la bibliophilie, on doit parfois se séparer d’ouvrages, qui restent malgré tout un peu quelque part les nôtres, même si depuis ils sont ailleurs.

Quel rapport entretenez-vous avec la pensée magique ?

J’admire ces hommes, ces cherchants de l’occulte, ces écoles initiatiques, qui à travers les âges ont su porter sur leurs épaules des traditions de cœur, faisait fit de querelles de clocher dont le seul but était la transmission. Que ce soit une pensée magique, philosophique ou initiatique, l’important à mon sens est l’anima, l’âme, le souffle qui est porté par chacun, qui nous aide à nous construire chaque jour. Je n’adhère à aucune école magique, mais je passe des heures à essayer d’en décoder les mythes et traditions, avec un plaisir exquis, presque coupable !

Est-ce que votre bibliothèque a changé votre regard sur le monde ?

Avoir la chance de manipuler des ouvrages centenaires, renvoyant à des époques troubles, à des points de repères historiques. Comme cet ouvrage de l’époque révolutionnaire de 1789, ou encore cet ouvrage « De la vocation des magiciens et magiciennes par le ministère des démons» annoté par Guaita de 1723, il est difficile parfois de prendre toute l’ampleur de ce que ce livre a pu traverser, toutes les mains qui sont passées sur lui. Plus qu’un changement de regard, c’est je pense un changement d’échelle, sur le monde, sur la temporalité des événements. C’est un peu comme avec les voyages, l’échelle change, on prend de la distance de la hauteur, et on apprécie plus amplement, généreusement les beautés et joies de chaque jour, plus que de se laisser polluer par les turpitudes qui arrivent parfois.

S’il ne devait n’en rester qu’un ?

Non pas ça… rien que cette idée me tord les boyaux … un … Je vais tricher, je peux ? Je garderais Au seuil du Mystère et les deux premiers volumes du Serpent de la Genèse en EO qui sont bien au chaud sur l’étagère du haut, à l’abri des regards indiscrets !

Et enfin si votre bibliothèque avait un nom ?

J’ai le regret, mais je dois l’avouer même si j’aimerais une bibliothèque rangée au style universitaire … et même si mes aspirations sont toutes autres et que j’espère que dans  le futur je pourrais la renommer … A ce jour je devrais la nommer : Capharnaüm